- KITSCH
- KITSCHKITSCHMot allemand, intraduisible et désignant soit le sentiment que provoque une certaine classe d’objets, soit cette classe elle-même: chromos, cartes postales de Noël, romans roses, meubles de style, musique légère, langage «phatique» des speakers de radio, sexy presque pornographique, films d’horreur tempérée. Car il y a un kitsch doux et un kitsch acide.S’affirmant, vers 1870, dans la Bavière de l’hyperromantique et maniériste roi Louis II — où le terme apparaît pour qualifier les reproductions d’art à bon marché —, connaissant une première maturité autour du modern style vers 1900, un second souffle mondial autour du styling de 1935, puis un troisième moment contemporain du pop art vers 1960 (époque où il alerte vraiment l’intelligentsia), le kitsch s’inscrit dans la triade industrie-masse-consommation. Plus précisément, il tente de compenser deux carences culturelles de l’objet industriel: l’impersonnalité et l’éloignement du corps; la dislocation et l’estompement des signes, perçus comme arbitraires en raison de la commutabilité des éléments techniques dans le réseau (aussi les étapes du kitsch ont-elles été contemporaines des étapes de la sémiologie, elle aussi née quand l’arbitraire du signe est devenu universellement apparent).D’où les caractères de tout objet kitsch: accumulation de signes culturels du passé, seuls codés pour la masse et seuls aptes à la réchauffer encore; effet de reconnaissance et spécialisation dans les «souvenirs»; primat de la connotation sur la dénotation; courbes, tons glissés, sfumato , poli, chambres d’échos rendant l’objet plus tactile (à distance) et servant de tempérament (au sens musical) entre les systèmes sémiologiques devenus incompatibles; structure où l’information (l’improbabilité) est au départ, le reste ne faisant que la relâcher (killing me softly ) en méandres, en refrains; maniérisme et complication artisanale. La cohérence du kitsch vient en partie du fait que chacun de ces caractères pallie à la fois les deux carences susdites.Le kitsch n’est donc pas éternel: les objets de série égyptiens ou polynésiens abâtardissent en les multipliant mollement des signes forts introduits par des créateurs, mais ils ne jouent pas nostalgiquement avec eux. Par contre, il y a un sens à parler d’un kitsch hellénistique, voire d’un kitsch racinien (clair-obscur, réminiscence, esthétisme), et surtout rococo. Le kitsch prospère dans les moments et les lieux de civilisation flottante: à la ville plutôt qu’à la campagne, dans l’Europe centrale ou la mégapolis américaine plutôt qu’autour de la Méditerranée.Quant à l’éventuelle capacité du kitsch d’inspirer l’art majeur, Rimbaud — ici encore germanique — la claironne dès 1872: «J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes...» Un siècle plus tard, le pop art reprendra collectivement ce programme prophétique lorsque le lâché des signes sera devenu tel qu’il pourra se retourner en tension. Dada fut le moment critique entre ces deux naïvetés.• 1962; de l'all. Kitsch (Bavière, v. 1870), de kitschen « rénover, revendre du vieux »1 ♦ Se dit d'un style et d'une attitude esthétique caractérisés par l'usage hétéroclite d'éléments démodés (⇒ 2. rétro) ou populaires, considérés comme de mauvais goût par la culture établie et produits par l'économie industrielle. Une robe kitsch. « des objets kitsch venus d'un concours Lépine des années trente » (Perec). — N. m. « Le kitsch a pu être considéré comme une dégénérescence menaçant toute forme d'art ou au contraire comme une forme nouvelle d'art du bonheur » (A. Moles).2 ♦ Par ext. D'un mauvais goût baroque et provocant. « Une histoire un peu kitsch, [de] mauvais goût » (Le Nouvel Observateur, 1973).kitschadj. inv. et n. m. Se dit d'objets (mobilier, bijoux, éléments décoratifs) et d'oeuvres picturales de style démodé ou de mauvais goût.— n. m. Le goût du kitsch.⇒KITSCH, subst. masc. et adj. inv.I. — Subst. masc. sing. Caractère esthétique d'œuvres et d'objets, souvent à grande diffusion, dont les traits dominants sont l'inauthenticité, la surcharge, le cumul des matières ou des fonctions et souvent le mauvais goût ou la médiocrité; p. méton. ce qui offre ce caractère. Le Kitsch c'est quoi? Tout ce qui est de mauvais goût, pourvu qu'on le regarde au second degré, avec un clin d'œil plein d'humour et assez d'esprit pour ne pas prendre tout cela au sérieux. Exemples de Kitsch : les broches représentant un petit chien en plastique, les objets souvenir, les fleurs artificielles (Elle, 1er mars 1971 ds GILB. Mots contemp. 1980, p. 311) :• Le kitsch (...), un concept universel mais dont la dénomination est mal connue en langue française, en dépit de l'importance des études qui lui ont été consacrées spécialement dans les pays de langue germanique. Le kitsch c'est l'aliénation consentie, c'est l'anti-art, c'est le faux et le néo-quelque chose; mais c'est en même temps le confort dans les rapports de l'homme avec les objets, c'est une éthique en soi.A.-A. MOLES, Objet et communication ds Communications, Paris, éd. du Seuil, 1969, n° 13, p. 20.II. — Adj. inv. Qui offre ce caractère. Littérature, mobilier, spectacle kitsch. Un objet kitsch est toujours un superbe objet d'art. Il doit être de préférence bon marché avec un relent de terroir ou un air arabo-orientalo-exotique. L'objet kitsch n'est jamais fait avec ce dont il a l'air, le bois y est peint en faux marbre et le marbre en faux bois (Paris-Match, 13 nov. 1971 ds GILB. Mots contemp. 1980, p. 311). Les accessoires 1930-1950, sacs en croco, bijoux kitsch très dorés et très voyants, fume-cigarettes ou colliers à grosses boules en pâte de verre vont évidemment avec la mode rétro (La Maison de Marie-Claire, mars 1975, n° 97, p. 102). Des meubles style nouille... la suspension... le papier mural mauve... tout à fait kitsch, on dirait aujourd'hui (A. BOUDARD, Les Combattants du petit bonheur, Paris, éd. de La Table ronde, 1977, p. 287).Rem. ,,L'on peut se servir du mot Kitsch comme d'un [élément de composition] : Kitsch-grec, Kitsch-romain, Kitsch-Henri II, Kitsch-roman, Kitsch-gothique, Kitsch-rococo, et, pourquoi pas, Kitsch-kitsch?`` (A.-A. MOLES, Le Kitsch, l'art du bonheur, Paris, Mame, 1971, p. 22).Prononc. : [
]. Étymol. et Hist. A. Subst. 1962 (E. MORIN, Esprit du temps, t. 1, p. 19). B. Adj. 1971 (Paris-Match, loc. cit.). Mot all., de même sens; en usage dans les milieux artistiques dep. ca 1870. L'all. Kitsch est lui-même prob. un dér. régr. de kitschen signifiant « ramasser la boue des rues » en Allemagne du Sud, plutôt qu'un empr. à l'angl. sketch « esquisse » (cf. KLUGE20 et Trübner). Bbg. A.-A. MOLES et E. WAHL, Kitsch et objet. Communications, Paris, éd. du Seuil, 1969, n° 13, pp. 105-129.
ÉTYM. V. 1960 (1962, Edgar Morin, l'Esprit du temps); de l'all. kitsch (Bavière), v. 1870; de kitschen « rénover, revendre du vieux », d'abord « nettoyer en enlevant les déchets »; kitsch est attesté en angl. dès 1926.❖1 Se dit d'un style ou d'une attitude esthétique caractérisés par l'usage dévié d'éléments démodés (⇒ Rétro) ou populaires produits par l'économie industrielle, considérés comme de mauvais goût par la culture établie et valorisés dans leur utilisation seconde. || Décoration kitsch, style kitsch. || Une robe kitsch. || « La foire à la brocante (…) sera décidément très kitch » (le Nouvel Obs., 21 mars 1973, p. 65). — || « La vogue nostalgique de nos souvenirs d'enfance, notre goût décadent de la débilité kitsch, notre sens du second degré » (le Magazine littéraire, déc. 1974, p. 34). || « Une histoire un peu kitsch, mauvais goût, horrible à raconter… » (le Nouvel Obs., 6 août 1973, p. 36).♦ N. m. || « Le triomphe du kitsch et du pompier dans les arts plastiques » (l'Express, 27 avr. 1974, p. 114). || Le Kitsch, l'art du bonheur, ouvrage d'Abraham Moles.0 Du passé nous ne supportons que la ruine, le monument, le kitsch ou le rétro, qui est amusant; nous le réduisons, ce passé, à sa seule signature.R. Barthes, Fragments d'un discours amoureux, p. 210.2 Par ext. D'un mauvais goût baroque et provoquant.
Encyclopédie Universelle. 2012.